mercredi 20 octobre 2010

Vivre!

  Une fois n’est pas coutume, je vais parler bouquin plutôt que voyage. Je n’en ai malheureusement plus trop l’occasion vu le nombre limité d’ouvrages en français (c’est un peu mieux en anglais, mais tout de même peu glorieux) disponibles dans les librairies étrangères de Pékin.

A ce sujet j’avoue attendre avec impatience le déferlement de tablettes qui s’annonce pour l’an prochain afin de commencer à rattraper mon retard à coup de livres électroniques… tout en continuant à remplir mes malheureuses bibliothèques.

Vivre!, de Yu Hua est l’histoire d’un Chinois, héritier d’une famille sur le déclin au milieu du XXème siècle. Criblé de dette, il devra abandonner sa terre, ce qui lui vaudra d’éviter d’être exécuté lorsque les communistes gagnent la guerre civile. Le roman raconte sa vie au travers des tragédies personnelle et de l’histoire chinoise du XXème siècle, et de la façon dont il les traversera.




L’ouvrage m’avait été conseillé par une amie chinoise. S’il se lit avec plaisir, ce n’est pas tant l’histoire ou le style qui est intéressant, mais plutôt ce qu’il révèle de la mentalité (je n’aime pas ce mot mais j’ai du mal à trouver mieux – sagesse populaire me semble trop pompeux) chinoise, notamment par rapport à l’occident européen (interprétation très personnelle en vue, attention les yeux).

Le plus important est de vivre, de survivre et de rebâtir, quel qu’en soit le prix. Mieux vaut vivre dans la misère que de mourir dans l’opulence. Ca se sent dans les économies de bout de chandelles pour permettre de payer les futurs frais d’hôpitaux, dans la façon de saisir toutes les opportunités de développer un guanxi (un réseau de connaissance qui pourront être utiles à n’importe quel moment), dans la pression sur les enfants pour qu’ils réussissent leurs études et permettent d’entretenir leur parents plus tard (à ce sujet, ce billet est très intéressant dans ce qu’il révèle sur la fin des petits empereurs).

L’Europe de l’Ouest d’après-guerre a généralement vécu une période heureuse : les Trente Glorieuses pour nos aînés, et bien que le futur de ma génération n’incite pas à l’optimisme, nous restons quand même des privilégiés (même si ça se dégrade très vite). Certains de mes collègues, ingénieurs en télécommunications (équivalent à 6 ans d’étude après le bac, sélectionnés parmi les 15 meilleures universités de Chine), doivent partager une chambre de 10 mètres carrés à une heure et demi du boulot : même s’ils font partie de cette catégorie de Chinois qu’on appelle les « hommes-fourmis » (蚁族) ce sont tout de même des veinards… Comparés aux centaines de millions d’ouvriers qui vivent dans des dortoirs chez Foxconn ou dans des préfabriqués à côté des gratte-ciels qu’ils construisent, ou aux paysans qui luttent contre la sécheresse dans les régions arides de Chine et dont l’eau est souvent prélevée pour alimenter les grandes villes (quand elle n’est pas polluée par les usines).

Bref, même si on nous bassine souvent avec la puissance grandissante de la Chine (indiscutable, que ce soit économiquement, militairement, diplomatiquement), la plupart de ses habitants luttent quand même pour la survie ou pour améliorer des conditions de vie précaires. Une certaine classe, financièrement à l’aise et insouciante, commence à apparaître et dépense follement dans les boutiques de luxe occidentales qui fleurissent dans toutes les grandes villes de Chine… mais ce n’est qu’une minuscule partie de la population, à peu près aussi représentative de la Chine contemporaine que peut l’être la clientèle du Fouquet’s de la France d’aujourd’hui.

Au final, la plupart des Chinois sont pauvres ou ont connu la pauvreté, et luttent pour la garder à distance et se préparer en cas de coup dur – ce qui explique aussi cette tendance à économiser à tout va : il suffit d’un coup du sort (un renversement politique de plus, une catastrophe naturelle, la maladie d’un proche dont les frais d’hôpitaux seront délirants) pour que tout parte en fumée, et cette conscience de la fragilité est bien plus présente en Chine qu’en occident...

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